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Les rencontres
Zieumzic En pleine grève des intermittents du spectacle, début
juillet, Nush Werchowska et Heddy Boubaker ont réuni une vingtaine
d'amis musiciens, jeunes pour la plupart. Le plus petit festival de la
France underground venait de naître dans les environs de Rennes-les-Bains,
village thermal du pays Cathare. Ces rencontres réalisées
avec zéro euro étaient organisées au dernier moment.
Chaque musicien était volontaire. Il devait payer voyage et nourriture
et jouer plusieurs fois dans différentes formations et situations.
Idéalisme et volontarisme absolu servaient de moteur en lieu et
place de subventions et de salariat intermittent. L'émotion d'une
musique très forte atteignait une dimension mythique dans cette
nature sauvage traversée de toute part de sources chaudes, torrents
et cascades. Comme l'eau coule insaisissable en travers des doigts de
la main, la musique improvisée est inséparable du lieu ou
elle est jouée. Cette proposition axiomatique est évidemment
invérifiable. J'ai été désigné pour
ouvrir le festival. Soprano et clarinette basse solo dans l'esprit héros
oublié de l'improvisation totale. Concert chez M. Artysanna, réincarnation
new age de M. Natural. Il donnera un sérieux coup de main pour
la bonne marche du festival. Rendez vous ensuite sur la crête de
la montagne au bord du précipice. Guillaume Viltard contrebasse
solo. L'archet dans le ciel de l'improvisation magique. Ensuite votre
serviteur guide l'assistance au son de la cornemuse pour redescendre écouter
" Las Vegas Powercut " dans la roseraie face au torrent. Concert
sans lumière. L'esprit du rock après la coupure générale
d'électricité. Amplificateur à pile pour le synthétiseur
de Marc Lockett avec Wilfrid Chevalier batterie plus Heddy Boubaker saxo
alto. Le lendemain " Semolina " avec Hervé Davy et Amaury
Bourget sur la place du village. L'heure de la sieste troublée
par la modernité d'un duo de guitares minimalistes. On court vers
la roseraie. " Bulles " avec Sébastien Bouhana batterie,
Antonin Chomet clarinette basse, Anne Choquet flûte à bec
et violon alto, Marc Demereau saxo soprano et bricolage électronique,
Heddy Boubaker saxo alto. Bulles de son. Bulles de free music. Bulles
de minimalisme maîtrisé. Bulles de sonorité du bonheur.
Place du village " Sponco " avec le puissant Vincent Chalot
batterie à cinq grosse caisses, le mystérieux Christophe
Grivel guitare électrique, l'omniprésent Heddy Boubaker
au saxo alto et la formidable chanteuse Françoise Guerlin plus
votre serviteur en invité. Les villageois ont flippé. Pourtant
la musique était moins free que le " Europe " de Noir
Désir et moins bruyante que le bal des commerçants du village.
Décollage vertical d'un groupe en fusion et rencontre du troisième
type. Soirée émotion dans la belle église romane.
Mystique urbaine minimaliste avec le duo Bertrand Gauguet sax alto et
Sharif Sehnaoui guitare électrique. Suivi par un vibrant duo d'amour
virtuose de Soizic Lebrat violoncelle et Olivier Bartissol violon alto.
Puis Cyrille Trochu l'accordéoniste aveugle et Anne Choquet flûte
à bec. Les larmes me coulent des yeux. Puis final les quatre ensemble
respect maximum. Le lendemain M. le maire remet bon ordre et interdit
les concerts prévus sur la place et dans l'église. Avec
réticence, l'hôtel 3 étoiles accueille le groupe "
Free Area " de Nush Werchowska, meilleure pianiste de sa génération,
plus le discret Sébastien Bouhana batterie et moi-même. Grande
énergie et concentration. Ensuite " Aah " dans le jardin
de la reine. Deux guitares Hervé Davy et Amaury Bourget plus Arnaud
Besnoit à la batterie. Méchamment éjecté de
la place du village le groupe donne une excellente prestation violente
et révoltée. Fin de soirée près du camping
à cinq km du village. Paysage extraordinaire. Tombée de
la nuit sous un chêne multi centenaire. Arnaud Besnoit batterie,
Cyrille Trochu accordéon et Hélène Compain clarinette.
Les mots me manquent pour traduire l'émotion de cette rencontre.
L'improvisation comme dernier stade avant l'arrivée des extra terrestres.
Fin de soirée avec Heddy Boubaker au saxo alto, Sébastien
Bouhana batterie et Guillaume Viltard contrebasse. L'improvisation totale
est une démarche merveilleuse absolument inégalable. Quatrième
et dernier jour. Duo de Nush Werchowska et Christine Sehnaoui. Deux voix
parallèles. Improvisations posées un peu comme une belle
sculpture sonore immobile dans les salons de l'hôtel. Ensuite trio
de saxo alto. Jean-Luc Guillonet, Christine Sehnaoui, Heddy Boubaker.
Belle collection de textures sonores pour la chaleur de l'été.
Fin du festival ambulant reçu enfin avec égards au beau
Domaine de Caderonne dans le village d'Esperanza. Nush Werchowska piano,
Hélène Compain clarinette, Soizic Lebrat violoncelle. Les
trois grâces de l'improvisation. Un groupe formidable à écouter
d'urgence.
Rue Léon.
Le "Festival Nomades" au cur du dix huitième arrondissement
de Paris. Un quartier terrible et beau. Théâtre du "Lavoir
Moderne" rue Léon. Théâtre du Paris contemporain
et populaire. Le beau linge culturel se lave en public. On sort rincé
mais heureux. Festival organisé par Blaise Merlin un jeune gars
né dans le quartier et par la contrebassiste Joëlle Léandre
habitante de l'arrondissement. Evidement une chronique de concert est
impossible à écrire. Elle n'est qu'une perception subjective
d'un seul individu.
Mardi. Grève générale. Trois quart d'heure de
marche pour venir total à la bourre. Je n'ai écouté
que les vingt dernières minutes. Daunik Lazro, saxo baryton, Raymond
Boni, guitare et Paul Rogers contrebasse à six cordes. Quelques
réflexions gratuites. Servez-vous c'est "free". De nos
jours on ne parle plus d'amour, on parle de musique improvisée
non idiomatique. C'est à dire d'une musique dégagée
de toute référence mélodique, harmonique et même
rythmique.
Mercredi. Grève des intermittents du spectacle. Jamaaladeen
Tacuma n'est pas venu jouer en première partie. Concert en forme
de collage hystérique du groupe d'Erick Borelva. Formidable batteur.
Accompagné au pied levé par Noël Akchoté, Raul
Colosimo et Bobby Jocky à la basse. Deuxième partie avec
le trio du new-yorkais David Grubbs. Décollage vertical. C'est
l'heure du rock and roll. Le miracle toujours recommencé d'une
sorte de croisement entre Captain Beefheart et Thelonious Monk. Compositions
soignées jusque dans leur interprétation improvisées.
Voix chaleureuse et guitare acérée accompagnés par
Noël Akchoté à la seconde guitare et par Thomas Belhom
à la batterie. L'orchestre sonne tellement bien que l'on perçoit
une basse imaginaire malgré son absence. A la fin du set David
Grubbs invite le public au bar. Il termine sa prestation seul au piano
droit près de la sortie. Des éléments répétitifs
s'enchaînent comme des poupées russe les unes dans les autres.
Emotion rare. L'américain est à fond. Paris est une ville
géniale.
Jeudi. L'ambiance est grave. On apprend l'hospitalisation de l'hôtesse
du festival. Excellent groupe sicilien nommé "Switters"
Gianni Gebbia possède une belle qualité de son au saxo alto.
Vincenzo Vasi joue de la basse et chante dans la tradition italienne.
Groupe très soudé avec une faculté de changer d'ambiance
en quelques secondes. Improvisations préparée si ce n'est
écrite. Grande qualité de fantaisie. Une sorte de dessin
animé du free jazz. Citation de "The girl from Ipanema".
Plongée bruitante. Lyrisme inattendu à la Albert Ayler.
Francesco Cusa semble chasser les esprits autour de sa batterie. Mythologie
de gestes millénaires. Seconde partie très attendue. William
Parker le new-yorkais historien de la musique noire. Agusti Fernandez
le meilleur pianiste d'Espagne. Paul Lovens un des inventeurs allemand
de la "free music". Comme à chaque fois depuis trente
ans il attaque une improvisation par un suraigu coup de crotale. Résonance
interminable suivi d'une attaque de grosse caisse. Déchirure de
l'espace temps. Signal de l'improvisation totale et absolue. Plongée
dans l'espace. Eloignement du passé. Contraction des sensations.
Réflexions des cellules nerveuses. Brèche dans la psychologie
de l'auditeur. Admirable et merveilleux concert.
Vendredi. "Basse love soirée". Long voyage dans
le métro souterrain pour atteindre le festival. Station Château
Rouge. Forteresse du passé. Avant poste du présent. Je pense
à Joëlle Léandre. J'ai abusivement dans la tête
le "Libertango" de Grace Jones "La porte est claquée,
Joel est barré !" Ce soir quatre contrebassistes invitent
quatre compères musiciens. J'ai raté les deux premiers duos.
Fantastique me dit Blaise. Je n'était pas là. Rien vu. Rien
entendu. Je ne ferai pas un faux témoin. J'écoute le portugais
Carlos Bechegas. Solo de flûte amplifiée à la place
d'un duo avec Joëlle Léandre. Musique absolument inclassable
contemporaine d'une grande émotion. Le flûtiste semble convoquer
des esprits magiques. William Parker le rejoint pour remplacer la contrebassiste
et casser le symbole de l'instrument couché sur scène sans
musicien. Splendide confrontation acoustique. Enfin la tête d'affiche.
" Alan Silva versus William Parker". Parker joue une "walking
bass" puissante sur un tempo rapide. Silva joue en dehors pizzicato
ou avec archet dans l'extrême aigu. Séquence avec des aiguilles
à tricoter. Temps mort. "Fluxus" sans "Fluxus".
Hésitation de l'auditeur. Brusque passage en Afrique. La provocation
se transforme en rythme de sanza. Retour à l'éternel du
jazz. Longue coda à l'air libre.
Samedi. Médéric Collignon, Claudia Solal et Lê
Duy Xuân. "La théorie du chaos". Deux femmes et
un homme. Pas de sonorisation. Pas d'instrument. Trois voix dans leur
nudité perturbante. Quelques moments de dérision jamais
gratuite. Ils miment la mort de Tosca. Ils visitent le jazz. Sons de percussion,
basse et guitare produits par gorge, langue, poitrine et plexus. Admirable
sens du rythme. Présence chaleureuse. Attitude humble. Humour subtil.
Maîtrise sans faille. Médéric dans le rôle de
Monsieur plus au cirque désigne Claudia. Concentration. Silence.
Attention maintenant voici le fameux contre ut ultra aigu. Les osselets
de nos oreilles rentrent en vibration avec le corps de la chanteuse. Deuxième
partie. Concert en forme de voix parallèles qui se rencontrent
dans des blocs d'émotion. Peter Jacquemyn en duo avec la légendaire
Maggie Nicols. Musique absolument improvisée. Le bassiste est un
peu la révélation du festival. Force de la nature il saisi
le manche de sa contrebasse à pleine main. Des battoirs de bûcheron.
Il fait résonner le corps de son instrument avec une violence et
une sensualité inouïe. Membre du WIM d'Anvers il sculpte aussi
des corps humains dans des troncs d'arbre. Magie Nicols est bouleversante.
Difficile de rendre compte de sa présence sans superlatifs. Elle
est à la fois voix blanche de peur et voix noire des déserts
d'Afrique du Nord. Elle est drôle. Elle hurle de rire. Elle pleure.
Elle prie. Elle réfléchie le public. Elle devient le public.
Elle est chienne. Elle est sainte. Elle est belle. Elle nous révèle
à nous même. 15 juin 2003. Pour Octopus le texte sera réduit
de moitié.
Steve Lacy, The Beat Suite Un choix de poèmes de l'époque
beatniks transformés magiquement en chanson. Ginsberg, Burroughs,
Kerouac, Kaufman, au total dix compositions. Steve Lacy a réalisé
cet enregistrement dans un studio parisien peu de temps avant son retour
définitif à Boston ou il enseigne au "New England Conservatory".
Cette "Beat Suite" le tenait très à cur.
Elle est le fruit d'une longue maturation. Tempos évidents. Mélodies
admirables construites sur une structure modale. Harmonies fonctionnelles.
Unisson du saxophone et de la voix féminine. Les timbres se mélangent
et donnent l'impression de faire l'amour sans fin. L'interprétation
d'Irène Aebi se rapproche par endroit du chant lyrique. Le trombone
de George Lewis commente le texte avec des accents ellingtoniens. Jean-Jacques
Avenel à la basse et John Betsch à la batterie propulsent
l'ensemble dans l'éternel du "swing". Cette sensation
ternaire opposée à notre monde binaire. La forme relève
du jazz classique. Thème, improvisation et retour au thème.
Comme dans l'uvre de Monk la modernité ne réside pas
dans la forme mais dans sa subversion permanente. La beauté du
geste musical crée une émotion constante. Steve Lacy est
un des derniers grands génie du jazz et un des plus important compositeur
actuel. Son uvre deviendra le nouveau standard du jazz à
venir. Musique de la sensualité sombre et lucide. Esthétique
de l'épuisement du monde actuel.
"Viking Bank" et "Saudade"
de Pierre Barouh : Saravah. Deux rééditions absolument
actuelles. "Viking Bank" enregistré en 1976 dans les
mythiques studios Saravah de Montmartre. "Saudade" double CD
regroupant les 45 tours sortis entre 1961 et 1965. Chansons d'un jeune
idéaliste fixée dans l'éternité grâce
au vinyle. Face A et B complétées par des archives avec
Baden Powell et cinq inédits. La voix de Pierre Barouh est bouleversante.
Une voix suggérant Henri Salvador en habit de Gainsbourg version
post atomique. La musique de Pierre Barouh ressemble à des comptines
enfantines jouées sur des rythmes de bossa nova avec un tempo jazz
d'enfer. Des harmonies imaginatives au service de mélodies à
siffloter. Des orchestrations ébouriffantes dont la recette semble
perdue. Le son des grands studios parisiens des années 70. La tristesse
joyeuse. La nostalgie du futur. La musique de Pierre Barouh est comme
la cuisine japonaise. Salée et sucrée. Crue mais toute en
douceur. Un discret parfum de bonheur. Le mystère de textes simples
et évidents comme l'amour. Pierre Barouh est victime du succès
phénoménal de "La bicyclette" ou de "Chabadada"
qui cachent mille autres chansons tout aussi réussies. Ensuite
Pierre Barouh a dépensé sans compter son énergie
pour produire d'autres artistes avec dévouement et humilité.
Brigitte Fontaine, Jacques Higelin, Pierre Akendengue, Barney Wilen, Steve
lacy, Jean-Roger Caussimon et des dizaines d'autres sont sortis des studios
Saravah. Le reste du temps Pierre voyage et écoute les autres.
"Quand on fait le tour du monde, on n'a plus qu'à recommencer".
Steve Reich "The Desert Music" Steve Reich
a séjourné dans les déserts de Mojave, du Nouveau
Mexique et du Sinaï pour méditer cette musique. La chaleur
du désert conduit presque à l'évanouissement. Fournaise
de l'enfer. Infini de l'effroi. Mirages en cascade. Sueur froide. Palpitation
cardiaque. Tachycardie répétitive des churs. Lyrisme
du désert. Musique de la révélation. L'écriture
de Steve Reich est inspirée entre autre par la Bible et la Kabbale.
"The Desert Music" est construit sur des extraits de
l'uvre de William Carlos William : "l'homme a survécu
jusqu'à présent parce qu'il était trop ignorant de
savoir comment réaliser ses désirs. Maintenant qu'il peut
les réaliser, il doit les changer ou périr". Cette
phrase fait référence à la bombe d'Hiroshima. La
beauté de la musique de Steve Reich sublime le désastre
absolu du monde réel. Cinq mouvements en arche. Rapide. Modéré.
Lent. Modéré. Rapide. Les 44 minutes de cette version de
"The Desert Music" semblent se dérouler comme
un flash d'un millième de seconde. Cet enregistrement fût
réalisé lors d'un concert donné à Genève
par "l'Ensemble". Ce nom recouvre l'Orchestre de Basse-Normandie,
les Percussions de Lyon et l'Ensemble Vocal Séquence. Ce disque
"live" dirigé par Dominique Debart est une interprétation
très fidèle en comparaison de celle du Brooklyn Philharmonic
dirigé par Michael Tilson Thomas. Le tempo des normands est un
peu plus rapide et l'acoustique de la salle de concert évidemment
très différente de celle d'un studio d'enregistrement américain.
"Ziskakan" de Gilbert Pounia au Casino de Paris
le lundi 28 avril 2003 Orchestre flamboyant d'une douzaine de musiciens
plus une pléthore d'invités. Dès la troisième
chanson le public se lève et quitte les fauteuils de velours rouge.
Tout le monde danse. Le "Maloya" est foudroyant. Enthousiasme
et envoûtement immédiat du public presque entièrement
réunionnais. Gilbert Pounia, longs cheveux et barbe noire est assis
immobile en devant de scène avec sa guitare. Rivé à
son micro. L'orchestre chauffe la salle d'emblée. Gilbert Pounia
est le Bob Dylan créole. D'origine Malbar, ses ancêtres viennent
d'Inde. Ziskakan produit le grand mixage : Afrique, Asie, Madagascar,
Europe. Ce métissage est celui de l'histoire de la colonisation
sur l'île de la Réunion. Ce n'est pas un mixage d'artistes
occidentaux en mal d'exotisme essayant de récupérer les
musiques du monde. Pas d'échantillonneurs en berne. Pas de pirates
à l'abordage des rythmes de la terre et du ciel. Gilbert fait rimer
"la France" avec "la souffrance" dans
la chanson fétiche de Ziskakan "Bato fou". Tous
les textes sont en créole. Langue du métissage des cultures
qui ont composé la Réunion. Langue des poètes à
l'heure de la mondialisation. Le métropolitain que je suis n'entrave
que dalle. Peu importe. La beauté de la langue créole emporte
l'auditeur. Sonorités françaises en forme de faux amis.
Derrière la séduction de la danse se cache des textes de
révolte sans rémission. Richard Bohringer viendra lire deux
magnifiques poèmes de Pounia en français. A bon entendeur
salut. Aucun doute n'est possible sur le sens des textes. Le groupe Ziskakan
existe depuis 1979. Au départ Ziskakan était un mouvement
culturel militant d'artistes et d'intellectuels pour défendre la
culture et l'héritage créole. Le groupe de Gilbert Pounia
a traversé les années avec des fortunes diverses. Olympia
en 92. "Top Ten" Californien en 94. "Kora 97"
meilleur groupe d'Afrique de l'est. Concerts en Inde. En 1998 au cours
d'une tournée de six mois aux Etats Unis le groupe se disloque
brutalement. Mais la "Danse du feu" de Ziskakan renaît
toujours de ses cendres. "Maloya i kas zorey groblan"
Points de vue & images du jazz "The difference between
a fish" Keith Rowe : guitare, Michel Doneda
et Urs Leimgruber saxophones. Potlatch. Ce disque débute
par le silence. L'absence de son délimite l'espace sonore vierge
prêt à être transformé en musique par le geste
créateur des improvisateurs. Enregistrement "Live" pour
la radio. "One shot". Deux improvisations d'environ 25 minutes
chacune. Le geste instrumental minimum devient presque virtuose dans son
absolu dépouillement. Cette musique tend à éliminer
les autres styles de musique tellement son approche globale est fermée
à toute mélodie. Une sorte de dialectique du monde sonore.
La note du bruit. L'instrument du son. Le mouvement du temps est mesuré
par la vibration de l'air. La pensée esthétique de ces artistes
est très différente de l'air du temps. Actuellement l'activité
mentale est enfermée dans des petits dossiers organisés
dans une arborescence similaire à celle des dossiers d'ordinateurs.
Il faut changer à chaque fois de logiciels pour comprendre ou entendre
le contenu. Ou alors c'est le pré fabriqué de la télévision.
Tout est expliqué. Service compris. Dans "The difference between
a fish" la saisie de l'ensemble relève de l'envahissement
par le son. Son absence. Son silence. L'écoute possède une
qualité visuelle. Le son est précipité dans l'image.
Le guitariste Keith Rowe est influencé par la peinture abstraite
du vingtième siècle. Il se réclame particulièrement
de Jackson Pollock. Les saxophonistes Michel Doneda et Urs Leimgruber
prolongent les découvertes d'Evan Parker. Techniques du jeu instrumental
étendues contre le sommeil de la raison. La formation particulière
et la qualité du son de ce trio composé d'une guitare et
de deux saxophones rappelle celle similaire du trio "Axolotl"
actif dans les années 80. Espace aquatique. Résidence sonore
de "The difference between a fish".
"Hype Factory" de Jef Lee Johnson : guitare,
claviers, basse, saxophone et programmation. Dreambox Media Ce double
C.D. est enregistré dans la maison de Jef Lee Johnson. A Philadelphie
dans son "home". Jef est le genre de type à s'enfermer
chez lui pour enregistrer presque seul 120 minutes de musique. Il se calme
dans son studio d'enregistrement. La vie le martyrise. Il ne veut plus
voir ni entendre personne. Il s'enferme chez lui ! Il enregistre un album
style "Funk" de chambre. Jef joue de la guitare en virtuose
et chante avec naturel. Il joue aussi basse et claviers. Il programme
les percussions et il souffle dans des saxophones. Son attitude est celle
d'un bluesman balançant tout sur le pas de sa porte. Vue imprenable
sur le paysage de l'Amérique réellement existante. N'oublie
jamais cher lecteur combien nous sommes redevable du blues. N'oublie jamais
sa provenance : Amerika avec un "K" comme funK. Bref. Hype Factory
dégage un swing plombé par la tristesse et le désir.
Jef transforme son désespoir en rythme élégant. Il
compose une musique pour apaiser les peines de tout un chacun. Il marque
une tendre répétition toujours différente du sentiment
joyeux et atroce de vivre. Jef existe dans le tempo de l'amour. Dans les
pires moments il continue à jouer la syncope du temps qui passe.
Il fabrique l'instant "Hype". Dans son désarroi Jef Lee
a préféré rester seul sans ses compagnons habituels.
Sans les anciens de Prince époque "New Power Generation"
ou bien sans Mac Coy Tyner, sans James Blood Ulmer ni James Carter et
Ronald Shanon Jackson, sans Michel Portal ni Jeff Beck et Tonny Himas.
Ce double album "Hype Factory" est un disque rare. Un enregistrement
de l'action musicale en train de se jouer pour déjouer l'adversité
"Jom Futa" Cheikh Tidiane Fall : percussions,
Jo Maka : saxophone soprano, Bobby Few : piano + Anedra
Shockley : voix et Raymond Doumbe : basse électrique. Paris était
la plaque tournante du "Free Jazz" des années 70. La
platine tourbillonnante de la liberté. Le tambour de ce qui deviendra
la "World Music". Les jazzmen américains de Paris comme
les musiciens africains et français inventaient une couleur Nord
Sud. Couleur inconnue jusqu'alors. Résultante de mélanges
audacieux, de rencontres sans tricherie, d'amour et d'espoirs démesurés.
C'était l'époque ou Jo Maka jouait dans les bien nommées
formations "Intercommunal Free Dance Music Orchestra", "Edja
Kungali", "Celestrial Communication Orchestra", "Synchro
Rhytmic Eclectic Language"
Pas un seul musicien de cette époque
ne pouvait être classé dans un style particulier avec une
jolie étiquette bien stupide. Ils étaient extrêmement
créatifs. Ils jouaient une douce et belle musique populaire. Ils
jouaient en lutte frontale contre le système commercial. Pour eux
la musique ne pouvait pas être une marchandise. Ils étaient
contre l'impérialisme aussi bien que contre la corruption des régimes
africains. Cheikh Tidiane Fall, fulgurant percussionniste est né
à Dakar (Sénégal), Jo Maka, saxophoniste à
redécouvrir d'urgence est né à Conakry (Guinée)
et Bobby Few, pianiste incomparable est né à Cleveland (Ohio).
Ils vivent à Paris. Jo est mort en 1981, enterré au cimetière
de Montmartre. Ce disque est une réédition d'un microsillon
de 1979 nommé "Jom Futa". Ce titre situe la musique dans
une région du Sénégal. Il est augmenté d'un
émouvant hommage à Jo Maka enregistré l'année
passée. Ce trio de Cheikh Tidiane Fall nous permet de retrouver
une page de notre histoire. Europe Noire. Magie Blanche. Ces musiciens
ont été totalement oubliés. Ils étaient les
premiers à nous faire entendre les joyeuses racines africaines
de la musique actuelle. Cheikh Tidiane Fall, précurseur de l'avant
"Afro Beat" est de retour !
" Les lèvres nues" Pascale Labbé
: voix et direction, Hughes Germain : dispositif électronique,
Gilles Dallais, percussions, Olivier Benoît, guitare, Paul Roger
: basse, Christophe Rocher, clarinette. Christian Zagaria : violon, Christine
Wodrascka : piano et une vingtaine de personnes ayant ou ayant eu recours
à des soins psychiatriques. Les lèvres nues est un disque
dépouillé. Nuages de "free music" planant sur
le deuxième étage du "Pavillon des expressions"
situé dans l'enceinte de l'hôpital psychiatrique de Montpellier.
Cette musique est un patient montage d'une année d'enregistrements.
Séances réunissant "des personnes ayant ou ayant eu
recours à des soins psychiatriques" et d'excellents improvisateurs
de la scène hexagonale. Pascale Labbé réunissait
une fois par mois ces personnes pour les entraîner à exprimer
leur voix par le chant, le cri, le râle ou le chuchotement. Au commencement
était le verbe. La voix est la voie de la guérison. Le retour
du refoulé crée soudainement une poignante beauté.
Le corps supprimé et nié par le dérèglement
psychique se retrouve décomposé et recomposé par
le miracle du son des lèvres en action. Les huit pièces
de ce disque ressemblent un peu à huit chambres de l'hôpital.
Bien que ce disque original ne ressemble à aucun autre j'ai eu
comme le sentiment d'écouter "Lulu" d'Alban Berg à
l'envers. Prélude sur la mort omniprésente et développement
en direction de la vie. Désir inversé sans résurrection.
L'écoute de ce disque nous fait comprendre à quel point
le blues et la tristesse sont des remparts contre la folie. La démarche
de Pascale Labbé consiste en une sorte de "conduction"
(dans le sens de Lawrence D. "Butch" Morris) de l'improvisation
des churs et des ensembles sonores. Elle chante peu et se conduit
plutôt comme un médium vis à vis des participants.
Elle transforme l'héritage surréaliste de l'écriture
automatique en une production vocale. Démarche sonore boitillante
qui débouche soudainement sur la beauté musicale comme thérapie
à la misère du monde. Universalité de l'expression
"La mort de la vierge" de Gérard Ansaloni
Saravah SHL 2109 "La mort de la vierge" est un disque absolument
hors mode. Pas au goût du jour. Pas de concept. Pas de sexe. Pas
de techno. Pas de pop rock. Pas de Jazz. Pas de chanson française.
Ce disque ne plaira pas aux intellectuels trop branchés. Si d'aventure
son auteur était invité sur un plateau de télévision
les flics l'évacueraient de force pour éviter qu'il ne soit
lapidé par des spectateurs fanatisés. Cet album contient
environ 900 alexandrins ou octosyllabes déclamés d'une voix
déchirante. Une voix "sprechgesang" dans le style du
Léo Ferré de "Ni Dieu ni Maître, et basta !".
La musique d'écriture post moderne est flamboyante. Elle est jouée
par une cohorte de synthétiseurs, échantillonneurs et musiciens.
(Dont moi-même sur quatre des 22 pièces.) Ce disque est hors
de l'esprit du temps dans sa forme mais très actuel dans le fond.
L'ambiance globale recouvre le désespoir d'un homme contemporain
complètement égaré dans un monde sans Dieu. Un univers
ou tout est à vendre. Ce disque est très bien produit. Plus
d'un mois de studio. Un livret de 40 pages. Une belle sonorité
dans la tradition des grands albums de chanson française des années
soixante et soixante dix. Cet album est une nouvelle folie de Pierre Barouh,
producteur et inventeur du label Saravah. Il continue à dépenser
une partie des droits d'auteur de ses grands succès comme "La
bicyclette" ou "Chabadada" dans la promotion d'inconnus
talentueux. Cet album de Gérard Ansaloni suit "Le Banquet"
produit sur le même label. Il s'était bien peu vendu. Peu
importe ! Pierre Barouh croit en Gérard Ansaloni. Il croit dans
ce petit bonhomme tout maigre éclairé d'un large sourire
modeste. Gérard travaille dans un bureau pendant la semaine. Il
écrit de la musique dans son salon le soir quand ses enfants sont
couchés. Il présente un profil d'anonyme. On ne l'imagine
même pas sur une scène. Pourtant il se transforme sous la
lumière des projecteurs en poète et "performer"
bouleversant. Les yeux mi clos il balance ses tripes avec l'énergie
d'un merveilleux illuminé. Il se met le public dans la poche en
un tour de main
Son style néoclassique est quelque peu subversif
tellement il défie la mode actuelle. Il n'invente pas de nouvelles
formes musicales ou poétiques. A quoi bon ! De nos jours même
les publicitaires affublent de moustaches les petites Jocondes de supermarché.
Gérard Ansaloni utilise les principes esthétiques du dix
neuvième siècle pour exprimer le sentiment romantique du
mal de vivre et de l'amour fou. Toujours actuel, contemporain et inusable.
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ChroniquE !
§ chrOniquE !
§ chroniQuE !
§ ChroniquE !
§ chroNiquE !
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